"Nous serons très fermes vis-à-vis de ceux qui attaquent le Bitcoin"

JDN. Vous lancez une association Bitcoin France pour "promouvoir et développer la technologie Bitcoin et son écosystème, ainsi que ses applications et ses usages, en France et en Europe". Une audition sur les monnaies virtuelles a par exemple récemment eu lieu au Sénat en ce sens. Que comptez-vous réclamer auprès des pouvoirs publics ?

Philippe Rodriguez.
Une audition a en effet eu lieu au Sénat en janvier à l'initiative des fondateurs de Paymium et nous discutons aussi beaucoup avec les députés. Notre principal objectif est d'informer. Nous voulons être sûrs que les entreprises qui travaillent sur le Bitcoin ne seront pas menacées de mort par une régulation future. L'innovation va toujours plus vite que la législation. On veut informer sur les sujets Bitcoin, les risques et enjeux, les opportunités de cette innovation. Il ne faut pas que la France passe à côté de la technologie Bitcoin. On appelle donc à une forme de régulation juste. Aujourd'hui, quand le gouvernement aborde le sujet, ce n'est pas sous le meilleur angle. Pierre Moscovici, par exemple, en parle dans les locaux de Tracfin. C'est un message de crainte. On fait un peu passer ceux qui travaillent dans le Bitcoin pour des escrocs !


Vous mènerez aussi un travail d'évangélisation auprès des commerçants...

Oui, auprès de tous ceux qui peuvent accepter la monnaie virtuelle. Mais nous travaillerons aussi auprès des entrepreneurs, pour dynamiser l'écosystème et mener des projets autour du Bitcoin. La monnaie n'est qu'une toute petite partie de ce que la technologie Bitcoin peut apporter. On peut imaginer l'utiliser pour signer des contrats, par exemple. Nous essaierons également de toucher le grand public à travers un livre blanc, des explications, des sites Web... Et puis les scientifiques et les universités, en dernier lieu.

 

Pourquoi vous intéresser au Bitcoin et le défendre ?

Avec la crise a émergé une certaine défiance envers l'Etat et les banques, des systèmes qui reposent normalement sur la confiance. Avec le Bitcoin, on remplace la confiance par un algorithme qui ne peut pas être corrompu, suivre des intérêts propres ou politiques. La crypto-monnaie est basée sur des algorithmes et n'a pas d'autorité centrale. Or, l'autorité centrale crée un point de contention entre émetteur et récepteur et des risques de sécurité, qui sont ici limités.

 

Pourtant il y a bel et bien un risque, comme on a pu le voir avec la mise en faillite d'une des principales plateformes d'échange de Bitcoin, MTGox...

"Les plateformes les moins sécurisées sont appelées à disparaître"

Pour passer du monde des monnaies-fiat, gérée par une banque centrale,  aux monnaies crypto, il y a besoin de passerelles sur lesquelles il peut en effet y avoir du risque. Mais je crois en un principe d'environnement digital darwinien : les plus faibles en termes de sécurité meurent, les plus résistants survivent et se développent. Dans le cas de MtGox, la communauté aurait pu intervenir plus rapidement. Ce qui s'est passé est encore opaque mais la plateforme a probablement été dépassée par son succès. Le site n'était pas construit pour gérer des centaines de millions de dollars.

 

Le Bitcoin pourra-t-il s'en relever ?

"La phase de spéculation folle est terminée"

C'est déjà fait, son cours a déjà remonté à plus de 700 dollars ! Le marché avait anticipé la chute de MtGox. Quelques semaines avant sa fermeture, le cours ne cessait de chuter. En fait, c'était le moment parfait pour acheter des bitcoins, avant que le cours ne remonte. Selon moi, le Bitcoin a connu plusieurs phases. D'abord, celle des mineurs et développeurs : la totalité des bitcoins leur appartenaient. Puis, à partir d'avril 2013, une phase de spéculation. Je pense que cette période se termine quand MtGox tombe. Sa mise en faillite a sonné le glas d'une période un peu folle. On rentre dans une spéculation un peu plus traditionnelle, plus aussi délirante et mal construite. On va assister à une troisième vague, dans laquelle on ne détiendra plus seulement de bitcoins parce qu'on mine ou spécule, mais parce qu'on a fait un arbitrage entre bitcoins et euros pour dépenser son argent. L'arrivée des VC dans les différentes places de marché, comme celle d'Andreessen Horowitz dans Coinbase [Il a investi 25 millions de dollars dans la plateforme, ndlr] va les sécuriser. C'est une monnaie encore très jeune, il faut lui laisser du temps.

 

Justement... La sécurité est-elle un axe de développement pour les entrepreneurs ?

Le porte-monnaie électronique est soumis à plusieurs risques : la clé privée qui permet de transférer des bitcoins est vulnérable si quelqu'un subtilise votre PC, et les transactions réalisées en ligne sont vulnérables aux hackers. La question de la sécurisation se pose et des entreprises commencent à y répondre, comme Electrum [système de porte-monnaie qui protège contre la perte de coins en cas d'erreur de sauvegarde ou d'une défaillance de votre ordinateur, ndlr].

 

Un conseil pour ceux qui hésitent à se lancer ?

Le placement en bitcoins au sens de la spéculation continue d'être risqué, parce que la monnaie est volatile et parce que l'expérience est encore jeune. Si vous voulez spéculer, ne spéculez que l'argent que vous pouvez perdre. Utilisez des places de marché régulées selon la directive des moyens de paiements européennes : elles sont obligées de passer par un établissement bancaire agréé pour les transactions.

 

Quels sont les avantages à utiliser le Bitcoin ?

Avantage du Bitcoin : le micro-paiement

Economiser, d'abord. Pour les commerçants, cela coûte moins cher que les transactions bancaires, mais pour les consommateurs aussi. On peut par exemple effectuer des transferts à l'étranger sans payer de taxes, sans passer par des autorités centrales et changer la devise. Le Bitcoin permet aussi d'éviter les malversations : le cash passe directement d'une personne à l'autre, contrairement aux cartes de crédit. On sait tout de suite s'il y a insolvabilité, et le paiement est irrévocable. Enfin, la monnaie virtuelle sert à effectuer facilement des micro-paiements. C'est intéressant pour les médias, par exemple, pour faire payer quelques centimes la lecture d'un article. Aux Etats-Unis, le Chicago Sun Times teste ce fonctionnement, qui ne serait pas rentable avec le système bancaire.

 

Le Japon cherche des moyens pour taxer le Bitcoin, tandis que le Royaume-Uni a annoncé que les échanges ne seront désormais plus soumis à la TVA, qui s'élève à 20%. Qu'en pensez-vous ?

Payer la TVA sur les bitcoins est absurde : cela repose sur l'idée que l'on a affaire à un bien digital, comme une musique. Le Japon aurait plutôt tendance à considérer la monnaie virtuelle comme une valeur mobilière, et donc à considérer qu'on ne paye pas la TVA dessus mais des plus-values. Au Royaume-Uni, on tendrait vers une législation similaire à celle qui s'applique à la monnaie : pas de TVA et pas de plus-values. C'est en tout cas la proposition du gouvernement. Une législation comme celle-ci nous conviendrait. Par contre, l'impôt sur les sociétés doit bien sûr s'appliquer aux sociétés qui évoluent dans l'écosystème Bitcoin.

 

Comment réagissez-vous face aux critiques contre les bitcoins et le risque qu'ils représentent pour le consommateur ?

J'ai pu lire des propos absurdes dans la presse. L'association sera très ferme vis-à-vis de toute personne qui émet de façon répétée des attaques diffamantes vis-à-vis de la communauté Bitcoin. Nous pensons qu'il y a des messages, des prises de parole peu instruites sur le sujet. On se demande si c'est par esprit de conservatisme, ou si c'est plutôt le fait du lobby des banques.

 

Que pensez-vous de l'article de la journaliste de Newsweek qui assure avoir rencontré l'inventeur du Bitcoin, un certain Satoshi Nakatomo, alors que lui-même s'en défend ?

Au sein de l'association, nous avons des doutes sur le fait que ce soit la bonne personne. De toute façon, l'identité du créateur ne change pas grand chose à la technologie, à l'essor et à la communauté Bitcoin. D'autant que 75% du code source a été réécrit par la communauté !

 

 Une conférence "Bitcoin Economy" organisée par CCM Benchmark, éditeur du JDN, aura lieu le 8 avril prochain.

 

Philippe Rodriguez dirige Avoltapartners (anciennement Dixmillevolts), une banque d'affaires (m&a boutique) pour les jeunes entreprises innovantes. Il a créé et cédé cinq entreprises et a été aussi directeur de business unit chez Microsoft France, entreprise où il a passé huit années. Il a été le fondateur et CEO de Mixcommerce, un opérateur de Commerce Electronique Délégué, cédé au Groupe La Poste en 2012. Philippe Rodriguez est aussi cofondateur, vice-président et trésorier de l'EBG, une communauté professionnelle de 130 000 professionnels du digital qui rassemble plus de 650 entreprises. Il est diplômé du MBA de l'École Supérieur de Commerce de Paris et de l'École Internationale des Sciences du Traitement de l'Information.

[source : JDN]


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